Introduction

Une fois j'ai reçu ce message d'une enseignante du bouddhisme zen rinzaï. Elle me parlait d'elle. À force de le lire, il est affiché bien en vue dans un endroit de la maison, je l'ai fait mien. Dans ce blog je vais raconter des histoires qui montrent cette rencontre du bouddhisme avec les gens que je fréquente dans mon travail et dans ma vie quotidienne. Quand on pratique le zen, pour comprendre, on se sert souvent de petites histoires des temps anciens, qui se passent en Chine ou au Japon. Dans cet espace, je me propose d'écrire des anecdotes très actuelles, vécues par un bouddhiste zen engagé dans la vie quotidienne.

Mon crâne rasé expose l’ossature du visage et ma fragilité
dans cette mise à nu.
Pourtant peu savent lire
ce livre ouvert de ma chair,
moins encore suivre les signes de ma Route,
toute en conduite solitaire, toute en communion
avec d’autres tracés.


Rei Myò Sensei
Août 1997

samedi 30 octobre 2010

Patience, patience, encore.

Savoir attendre, c'est possible. Quand je suis en train de faire zazen et que j'ai une démangeaison sur le visage, je ne fais rien. En dehors de ce contexte, quand j'ai une démangeaison sur le visage, je me frotte avec une main. Si je me gratte je suis soulagé, je suis intervenu, j'ai fait quelque chose mais ça ne marche pas. Pendant le zazen si je ne me gratte pas, quelques secondes après il n'y a plus de démangeaison. Tout le monde te le dira. Tu peux en faire toi-même l'expérience immédiatement. Ne rien faire et le problème disparaît de lui-même, ou au pire la situation n'empire pas.
L'essentiel étant de ne pas déclencher la réaction en chaîne qui conduit à la violence. La violence, cette situation où l'on n'entend plus rien, ni soi même, ni l'autre, complètement fermé, citoyen d'un monde étriqué.

vendredi 24 septembre 2010

Patience, patience...

Régler le problème tout de suite, voilà comment continuer la réaction en chaîne de la violence. L'attitude opposée est bien de savoir attendre. Apprendre à attendre. Savoir attendre, patiemment. Dans notre culture, la patience est mal vue, le proverbe
"La patience est la vertu des ânes",   c'est-à-dire c'est une sottise de supporter ce qu'on peut ne pas endurer, résume bien l'état d'esprit dans lequel, au fond, nous avons été élevé.
Quand tu es agressé, tu es mal à l'aise, le sentiment que tu subis une injustice te submerge, tu te sens humiliée, la souffrance que tu ressens est intolérable, tu veux que ça cesse, alors tu réagis. Tu tentes de régler le problème tout de suite. Tu es agressive en retour, tu tentes d'humilier la personne, parfois tu insultes, tu dis plusieurs méchancetés, etc. Cela ne marche pas. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. En plus de souffrir de l'agression de l'autre, tu souffres d'avoir toi-même agressé en retour. Tu souffres d'avoir été comme l'autre dont tu détestes les manières et la manière d'être. Dans la classe, j’ai simplement écrit sur le mur “pas comme eux”, pas comme lui doit être toujours et partout ta devise.
L'agression a pris de l'ampleur par ta riposte. La haine que tu cultives en toi de cette façon agit sur ton cœur comme un poison.
Ne pas régler le problème tout de suite n'est pas ne pas régler le problème.
Ne pas régler le problème tout de suite c'est commencer à régler le problème, c'est avoir une chance de le régler un jour. Laisser faire, laisser passer.
La tradition le dit bien : “quand je suis perdu et que je ne sais plus que faire ni où aller, je m'assois en zazen”. Plus récemment d’autres l’ont aussi remarqué, je pense à un livre d’Henri Miller que j’ai relu, il y a peu, pour une situation similaire il conclut “le mieux c'est de ne rien faire du tout”.

mercredi 4 août 2010

Merci et merci

Vers le 10 juin, j'ai commencé la classe en parlant du mot merci aux élèves qui sont arrivés en premier.  Je leur ai dit : "vous avez remarqué que quand on rend un grand service à quelqu'un, un service du genre de celui qui nous donne une journée de travail, en retour, cette personne vous fait dire merci". "Et avez-vous remarqué que quand on donne quarante centimes de monnaie à quelqu'un pour qu'il ait de quoi se prendre un café au distributeur, en retour, on obtient le même merci". Le même mot pour deux choses complètement disproportionnées.
Vous allez voir qu'il n'est pas ici question de jugement, il n'y a pas une bonne façon d'utiliser merci et il n'y a pas une mauvaise façon d'utiliser merci, mais il y a des mercis qui marchent et des mercis qui ne marchent pas.
Vous avez compris le merci qui me choque c'est le merci reçu en paiement de la journée de lundi passée à imprimer les 100 tee-shirts. Ce merci-là ne marche pas. Je ne veux pas dire que cette personne aurait dû me contacter directement plutôt que de me faire dire merci par un intermédiaire. Je n'attendais pas non plus un grand merci ou merci beaucoup ou encore merci infiniment. Non, ce n'est pas ça.
Bien sûr au départ j'étais d'accord pour faire ce travail sans le faire payer. Là n'est pas la question. À l'issue de ce travail, je n'attendais pas de salaire, sous aucune forme que ce soit, surtout pas sous la forme du mot merci.
Ce mot merci, je le reçois comme un quitus que m'impose cette personne. Rappelez-vous ce que nous avons dit l'autre jour à propos du donner et recevoir. Nous avons là l'exemple d'un tout petit acte, égoïste et limité. Cette personne me fait dire merci comme si elle m'envoyait un chèque, un moyen pour elle de ne plus se sentir redevable et de continuer sa danse égoïste.
L'acte juste aurait été de ne rien dire, pour que notre travail de lundi s'insère dans quelque chose de beaucoup plus vaste. Ou alors, si cette personne voulait vraiment faire quelque chose, il fallait qu'elle vienne ou qu'elle nous écrive pour se présenter et nous présenter son projet, ce qui aurait placé notre travail dans une chaîne généreuse, et pas dans une suite d'événements mercantiles ou l'on profite de nous.
Je pense qu'il y a des demandes qui ne sont pas justes, et celle-là en fait partie. Quelqu'un qui a plein d'argent dans sa poche et qui me demande quarante centimes pour un café ne fait pas une demande juste.
Merci n'est pas un paiement, pas une récompense, c'est une attitude, une disposition qui vient du cœur.

mercredi 21 juillet 2010

Bzzzzz zen

Fin juin, c'est le moment où je fais de la confiture de cerises. Pour 3 kg de fruits dénoyautés, je rajoute 1,5 kg de sucre. Je ne mets pas tout de suite la marmite sur le feu. Je laisse reposer les cerises et le sucre pendant quelques heures au soleil, un couvercle sur la marmite. Après ce temps de macération, je mets la marmite à confiture sur un feu vif, le petit séjour à couvert au soleil a fait rendre de l'eau aux cerises, donc aucun risque que ça brûle pour le moment.
Une fois que la confiture bout à gros bouillons, je réduis la flamme et j'attends 3 minutes pour arrêter le feu. Je profite de ce temps pour enlever l'écume rose qui se forme sur le mélange.
Hors du feu, je remue de temps en temps. Il faudra près de 4 heures pour que la confiture revienne à la température ambiante. Pendant ces 4 heures, la confiture continue de cuire en douceur, sans aucun risque de brûler.
Ensuite, chaque jour je porte la confiture à ébullition pendant 3 minutes, et je la laisse cuire en refroidissant lentement. Je fais cela 7 ou 8 fois, et la confiture est prête. Le mélange du départ a diminué de moitié.
Un ami qui m'a vu faire, m'a fait la remarque que je remuais la confiture bizarrement. En effet je bougeais la cuillère en bois dans la confiture en suivant le trajet d'une des danses que font les abeilles pour indiquer à l'ensemble des butineuses où se trouve un champ de fleurs.
Me connaissant, mon ami a tout de suite pensé à un truc de bouddhiste pour réussir la confiture. Une sorte de rite transmis de maître à disciple depuis des générations et dont je me retrouvais le dépositaire.
J'aurai pu lui dire oui c'est un truc bouddhiste pour réussir les confitures !, mais ça aurait été mentir, ou bien lui dire non ce n'est pas ça ! mais cela aurait été me mentir à moi-même.
Pour réponse, je lui ai simplement fait un sourire.

Plus tard j'ai dû lui ré-expliquer, avec des mots, comme un philosophe.
Sur les rites : suivre ou se créer un rite à un moment donné pour ne rien mettre de soi, de son ego, de sa décision dans un acte.
Ici, je ne fais pas de la confiture lui ai-je dit, la confiture se fait.
Je lui ai aussi expliqué le brin d'herbe que l'on trace 1000 fois sur la feuille jusqu'à ce que l'on ait l'impression qu'il vient de pousser sur la feuille, tellement on s'est oublié dans cet acte, tellement on a disparu en ne cherchant pas à faire quelque chose, un brin d'herbe par exemple, ou de la confiture de cerises. Un brin d'herbe qu'on ne cherche pas à faire beau, bon, joli, esthétique, juste un brin d'herbe qui est. Le rite aide à s'oublier.
Mais après tout, devançant ses objections je lui ai dit pourquoi n'y aurait-il pas la confiture de cerises de Serge, quel mal y a-t il à cela ? Aucun bien sûr, seulement, dire cela, c'est faux, ça ne marche pas, dans cette confiture il y a l'univers entier, il y a les personnes qui ont ramassé les cerises, les personnes qui ont planté et cultivé les cerisiers, l'eau et le soleil qui les ont fait pousser, il y a le pain qui a nourri tous ces gens. J'ai arrêté, j’aurais pu continuer de la même manière sur le sucre, la cuillère en bois et sur la casserole et lui parler de l'interdépendance des choses qui nous empêche définitivement de dire je, mais il avait compris.
Je lui ai donné à lire le texte de Thich Nhat Hanh qui s'appelle entre-exister.

 Danse des abeilles.

dimanche 20 juin 2010

La main gauche et la main droite

J'écoute tout ce qu'elle à dire, elle est sûre qu'elle est la victime et que l'autre est le bourreau. Elle pense que je vois les choses de cette manière. Elle attend sans doute que j'apporte d'autres exemples pour attester que nous avons un bourreau dans notre école, mal dans sa peau et dans sa vie.
Comme ce n'est pas la première fois, elle n'est pas trop étonnée quand je prends enfin la parole sans aller dans son sens, un peu comme si elle attendait malgré tout autre chose de ma part, sans savoir trop quoi, mais en ayant l'intention d'écouter et de se laisser surprendre. 
Je lui dis que ce n'est pas si simple, à quoi bon entretenir une haine ? Cela ne marche pas.
Encore une fois je lui ai expliqué comment je voyais les choses, je devrai dire comment sont les choses en réalité. Mais je ne dis jamais ça car ensuite ce sont des discussions interminables sur ce qui est et sur les points de vue que chacun peuvent avoir. Je dis simplement, à mon avis, une école c'est comme un corps humain, chaque partie a besoin de l'autre pour exister, la tête fait fonctionner les bras et les jambes, puis les yeux et les oreilles apportent des informations à la tête. Comme je voyais qu'elle ne comprenait pas et qu'un bon exemple vaut mieux qu'un long discours, je lui ai montré mes deux mains. Avec le pouce et l'index de ma main gauche, j'ai pincé ma main droite. Je lui ai dit, ma main droite a mal maintenant, mais est-ce que tu crois qu'elle en veut à ma main gauche, est-ce que tu penses qu'elle se dit que la main gauche est méchante et qu'elle a des problèmes avec son mari ?

dimanche 13 juin 2010

Donner et recevoir

Aujourd’hui l’occasion m'a été donné de faire quelques commentaires sur le don. À mon sens, la pratique du don est la clé du problème, c’est-à-dire la solution aux préoccupations que nous avons coutume d’évoquer, à savoir comment vivre, bien vivre ensemble dans cette classe, vivre dans un monde plus vaste qui nous permette de nous retrouver en harmonie avec toutes les personnes qui croisent notre chemin. En deux mots : comment réussir.
Si on y regarde d’un peu plus près, tout au long de la journée nous sommes en train de recevoir. Nous recevons des informations, des conseils, nous découvrons des choses à travers d’autres, et à l’inverse nous donnons tout au long du jour.
Quand on reçoit quelque chose que nous percevons comme ayant une réelle importance pour nous, un service rendu ou un prêt d'argent par exemple, le réflexe le premier est de donner en retour à celui qui nous donne, dans notre esprit, on remercie. Cela ne marche pas. La pratique qui va agrandir notre champ de vision n’est pas celle là. Il faut que nous donnions sans savoir à qui nous donnons et pourquoi nous donnons. Savoir cela n’a aucune importance. Bien au contraire, si nous nous contentons de donner à celui qui nous a donné, nous créons une situation à deux, une toute petite situation qui a pour rayonnement la limite immédiate de notre égocentrisme. Par contre un don sans but, sans intentions, agrandi considérablement notre influence, et rayonne à l’infini.
Si j’avais à faire un croquis pour signifier  cette différence, je ferais pour le premier cas de figure un gribouillage sur une feuille, qui aurait pour amplitude que le mouvement de mon poignet, et pour le don plus large je ferais un trait avec des volutes qui sortirait très vite de l’espace blanc du papier, qui continuerait sur la table, les murs de la classe, puis le couloir, les murs extérieurs. Je laisse votre imagination, que je sais grande pour continuer ce cheminement du don. On doit remercier la personne qui nous donne en donnant à son tour à d’autres.

dimanche 6 juin 2010

Se laver les dents

Quand la classe reprend à 13 heures, après le repas de midi, je me lave les dents au lavabo dans l’atelier. En allant vers le lavabo, tenant ostensiblement ma brosse à dents je dis aux élèves “après le repas, on doit se laver les dents”. Je ne les surveille pas à ce sujet, mais petit à petit certains se sont mis à le faire aussi. Il y en a un qui un jour m’a demandé si je pouvais lui prêter du dentifrice. Ceci fait, je l’ai suivi vers le lavabo en bavardant un peu, puis j’ai vu qu’il se lavait les dents en laissant couler l’eau en continu. Je lui ai dit que c’était mieux de mettre de l’eau dans un gobelet. Je lui ai parlé de l’eau qui est rare, des personnes qui font des kilomètres pour en chercher. Il s’est un peu révolté, et m’a dit, répondant à mes exemples “mais de toute façon ce n’est pas parce que j’utiliserai moins d’eau que ça changera quelque chose pour cette femme qui fait des kilomètres chaque jour pour chercher de l’eau”. Il m’a dit encore “ma mère me répète depuis toujours de finir mon assiette car des enfants dans le monde n’ont rien à manger”, “cette culpabilisation me bousille la vie”.
Je lui ai dit que j’étais tout à fait d’accord, que d’utiliser un gobelet ne soulagerait en rien les femmes africaines dans leur corvée d’eau, pas plus que de finir son assiette ne donnerait à manger aux enfants mal nourris. Je lui ai dit ensuite que de laisser couler le robinet et gaspiller de la nourriture nous éloignait de ces gens qui ont soif et faim, et que par voie de conséquences nous étions amenés à vivre sur une planète que nous nous construisions dans la tête, confortable pour nous, mais très loin de la planète réelle, et que ça ne pouvait pas marcher. Par contre économiser l’eau et finir son assiette nous rapproche de ces personnes. Sans soulager leur souffrance nous devenons ainsi attentif à ce qui les fait souffrir, nous sommes ainsi sur la même planète qu’eux, et ça marche, nous vivons dans le monde réel.
Je n’ai pas voulu prononcer le mot compassion ni le mot spiritualité.
Voilà, après cette petite scène de la vie quotidienne, je n’ai plus qu’à vous saluer et vous dire à bientôt.

samedi 5 juin 2010

Introduction

Une fois j'ai reçu ce message d'une enseignante du bouddhisme zen rinzaï. Elle me parlait d'elle. À force de le lire, il est affiché bien en vue dans un endroit de la maison, je l'ai fait mien. Dans ce blog je vais raconter des histoires qui montrent cette rencontre du bouddhisme avec les gens que je fréquente dans mon travail et dans ma vie quotidienne. Quand on pratique le zen, pour comprendre, on se sert souvent de petites histoires des temps anciens, qui se passent en Chine ou au Japon. Dans cet espace, je me propose d'écrire des anecdotes très actuelles, vécues par un bouddhiste zen engagé dans la vie quotidienne.

Mon crâne rasé expose l’ossature du visage et ma fragilité
dans cette mise à nu.
Pourtant peu savent lire
ce livre ouvert de ma chair,
moins encore suivre les signes de ma Route,
toute en conduite solitaire, toute en communion
avec d’autres tracés.


Rei Myò Sensei
Août 1997