Une fois que la confiture bout à gros bouillons, je réduis la flamme et j'attends 3 minutes pour arrêter le feu. Je profite de ce temps pour enlever l'écume rose qui se forme sur le mélange.
Hors du feu, je remue de temps en temps. Il faudra près de 4 heures pour que la confiture revienne à la température ambiante. Pendant ces 4 heures, la confiture continue de cuire en douceur, sans aucun risque de brûler.
Ensuite, chaque jour je porte la confiture à ébullition pendant 3 minutes, et je la laisse cuire en refroidissant lentement. Je fais cela 7 ou 8 fois, et la confiture est prête. Le mélange du départ a diminué de moitié.
Un ami qui m'a vu faire, m'a fait la remarque que je remuais la confiture bizarrement. En effet je bougeais la cuillère en bois dans la confiture en suivant le trajet d'une des danses que font les abeilles pour indiquer à l'ensemble des butineuses où se trouve un champ de fleurs.
Me connaissant, mon ami a tout de suite pensé à un truc de bouddhiste pour réussir la confiture. Une sorte de rite transmis de maître à disciple depuis des générations et dont je me retrouvais le dépositaire.
J'aurai pu lui dire oui c'est un truc bouddhiste pour réussir les confitures !, mais ça aurait été mentir, ou bien lui dire non ce n'est pas ça ! mais cela aurait été me mentir à moi-même.
Pour réponse, je lui ai simplement fait un sourire.
Plus tard j'ai dû lui ré-expliquer, avec des mots, comme un philosophe.
Sur les rites : suivre ou se créer un rite à un moment donné pour ne rien mettre de soi, de son ego, de sa décision dans un acte.
Ici, je ne fais pas de la confiture lui ai-je dit, la confiture se fait.
Je lui ai aussi expliqué le brin d'herbe que l'on trace 1000 fois sur la feuille jusqu'à ce que l'on ait l'impression qu'il vient de pousser sur la feuille, tellement on s'est oublié dans cet acte, tellement on a disparu en ne cherchant pas à faire quelque chose, un brin d'herbe par exemple, ou de la confiture de cerises. Un brin d'herbe qu'on ne cherche pas à faire beau, bon, joli, esthétique, juste un brin d'herbe qui est. Le rite aide à s'oublier.
Mais après tout, devançant ses objections je lui ai dit pourquoi n'y aurait-il pas la confiture de cerises de Serge, quel mal y a-t il à cela ? Aucun bien sûr, seulement, dire cela, c'est faux, ça ne marche pas, dans cette confiture il y a l'univers entier, il y a les personnes qui ont ramassé les cerises, les personnes qui ont planté et cultivé les cerisiers, l'eau et le soleil qui les ont fait pousser, il y a le pain qui a nourri tous ces gens. J'ai arrêté, j’aurais pu continuer de la même manière sur le sucre, la cuillère en bois et sur la casserole et lui parler de l'interdépendance des choses qui nous empêche définitivement de dire je, mais il avait compris.
Je lui ai donné à lire le texte de Thich Nhat Hanh qui s'appelle entre-exister.
Danse des abeilles.